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Agitation sourde dans les couloirs

Agitation sourde dans les couloirs. Que se passe-t-il donc ? Sur la porte vitrée, deux mains dans deux manches bleues- l’agent de service sans doute- tambourinèrent violemment.

Au feu ! Au feu !

Je fis sortir les élèves rapidement avec une certaine angoisse et nous nous engageâmes dans l’escalier.

En bas, les choses étaient mystérieusement calmes ; une rumeur courait : que le feu du 3ème étage avait été dominé ; mais que le lycée continuait à être occupé.

Mes élèves avaient disparu ; seuls deux jeunes téléphonaient : « On nous demande de quitter le lycée le plus vite possible, vite, vite viens-nous chercher ». J’avais envie de leur arracher le portable des mains et de demander aux parents : « Alors, c’est comment dehors ? ». Mais je ne pouvais pas agir ainsi : j’étais le professeur, je me devais à une certaine retenue.

Les élèves avaient le droit, le devoir de prendre congé ; en revanche les professeurs devaient se ranger dans la cour. C’était quoi cet enfantillage ? Cette humiliation ? Les professeurs se ranger comme de vulgaires employés d’une entreprise chinoise ? J’étais pour l’autorité certes ; mais cette mesure me paraissait démesurément exagérée, hors de propos. Mes années d’engagement dans le syndicalisme m’avaient donnée une image noble du métier ; où le savoir et l’envie de transmettre prenait le pas sur un quelconque endoctrinement.

Mes collègues étaient tous rangés, que faire ? Je décidai d’en faire de même. Je fus surprise par mon attitude ; après un début de carrière soumis à l’autorité, à la hiérarchie, j’avais appris peu à peu à ne pas me laisser marcher sur les pieds et à faire respecter mon point de vue. L’ambiance était assez tendue. Un homme mitrailleuse entre les jambes demanda le nom de la première personne de la première colonne à partir de la droite. D’autres soldats armés eux aussi nous encadraient. L’homme à la mitrailleuse chercha dans une liste, marqua quelque chose, puis passa au second. Où était donc passée ma répartie, mon esprit critique ? J’étais paralysée et mon regard se portait sur la mitrailleuse. Un prof devant moi essaya de fuir, j’aurais dû le suivre ; à plusieurs on aurait peut être pu tromper leur attention. Je me dis que de toute façon, il faudrait être beaucoup plus pour tromper leur attention et qu’une tentative isolée serait bien vaine. Je ressentis une vive angoisse dans la poitrine ; l’homme continuait son interrogatoire pendant que le fugitif était ramené manu militari dans les rangs.

J’étais dans un supermarché, ma grand-mère me tenait pas la main, j’aimais ce contact doux. Un couple de vieux apparut devant nous, au détour d’un rayon. Ma grand-mère m’empoigna violement, viens, il ne faut pas leur parler, c’est de leur faute.

Je savais que ces gens habitaient près de chez nous, lorsque je passais devant chez eux, ils me faisaient un léger signe de tête et faisaient mine de s’approcher de moi, un jour, ils me tendirent même une pomme, mais on m’avait interdit, alors je m’enfuyais sans me retourner.

Je ne comprenais pas très bien, mais un jour, c’était le jour de la Toussaint, ma tante qui était bavarde, mais bavarde, me raconta que c’était de leur faute si on allait fleurir la tombe de la petite, la fille de mamie, morte il y a bien longtemps. Le médecin était parti en précipitation avec sa famille à cause des voisins, et n’était donc pas venu soigner la petite. Devant la tombe, je me cachais dans les jupes de ma grand-mère, je n’osais pas regarder en face de moi, toutefois je parvins à distinguer deux dates : 1940-1942.

Seul le fils du médecin était revenu de ce long voyage, à présent c’était notre médecin. J’adorais aller le voir, il me faisait beaucoup rire –mais étant enfant, tout me faisait rire-, mais lui ne riait jamais, on aurait dit que son regard était resté là-bas, Dieu sait où, dans ce voyage obscur, mais moi, j’adorais quand il m’auscultait, il avait les mains si froides que j’en avais les chatouilles.

L’homme en uniforme demanda le nom de mon voisin, mon regard s’embua de larmes à la seule idée que pour vivre ne serait-ce que 10 minutes de plus, j’aurais été capable de dénoncer la terre entière et les poissons avec. C’était insupportable. L’homme me demanda mon nom : « 10 minutes de plus, s’il vous plaît, je vous en supplie ». Puis plus rien.

Lorsque j’ouvris les yeux, tout était blanc autour de moi. Je vis une infirmière, en blanc aussi. Lorsqu’elle me vit, elle sourit et me dit d’une voix tonitruante : « Ah, ça y est vous êtes réveillée ? Vous pouvez partir, ça va mieux ». Ah, dans ce cas alors … Je m’habillai, rassemblai mes affaires … et en me tournant, je vis un homme appuyé contre le mur. Peut-être était-ce le médecin, en tout cas, il ne parlait pas, et il se tenait bras croisés, un pied contre le mur, bizarre comme médecin. Lorsque je passais près de lui, il me tendit la main machinalement sans me dire un mot. Je la lui serrai, qu’est-ce qu’elle était froide... L’homme qui m’avait demandé mon nom m’attendait à la porte.

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